Devant la complexité apparente de la gestion des coupons de MLCC, il peut être tentant de se détourner de la monnaie papier et d’opter pour des échanges électroniques. Mais si la monnaie électronique semble avoir l’avantage de l’efficacité, son mode de fonctionnement n’est philosophiquement pas neutre. Nous estimons en effet que l’un des rôles de MLCC est de lutter contre la disparition progressive des espèces dont toute société a normalement besoin pour mettre de l’huile dans ses rouages. La société sans cash vers laquelle nous nous dirigeons (1)A Davos, on prédit la fin de l’argent liquide dans dix ans. http://fr.reuters.com/article/technologyNews/idFRKCN0UY2I8 est une société transparente dans laquelle règne une dictature du bien (2)Voir Alexandre Lacroix : La société sans cash ou la dictature du bien ? (Philosophie magazine n° 103, octobre 2016). opposée à la liberté la plus élémentaire des citoyens.

Se réapproprier la monnaie, c’est également s’en réapproprier les signes. Les symboles ne sont pas sans conséquences sur la vie sociale des être humains, c’est pourquoi le choix des coupons et leur esthétique sont si importants. En utilisant la monnaie papier, nous faisons également le choix de ne tracer (même involontairement) ni les achats des utilisateurs, ni les ventes des prestataires, ni même les transactions entre ces derniers (3)Sur ce dernier point, la situation pourrait évoluer car nous envisageons la mise en place de comptes courants en MLCC destinés aux échanges que les prestataires effectuent entre eux.. Les seules informations dont notre association dispose sont d’une part la quantité de coupons achetée par chaque utilisateur et le montant de MLCC changé en € par les prestataires.

mereaux_45Nous ne voulons pas sacrifier ce qu’il nous reste de liberté sur l’autel de l’efficacité et considérons que la facilitation de nos vies ne doit pas avoir pour conséquence leur contrôle total via nos échanges. C’est pourquoi entre l’efficacité d’une monnaie électronique et la complexité de la circulation des coupons, nous avons été amenés à emprunter une troisième voie : celle d’une gestion simple des coupons.

Ainsi, nos coupons ne sont disponibles que dans des enveloppes de 50 et 100 unités. Le montant changé ne peut donc qu’être un multiple de 50. Les monnaie locales qui pratiquent le bonus peuvent facilement adapter ce système en échangeant par exemple 97 € contre 100 unités de MLCC.

Nous avons mis en place un change mensuel (4)Ce principe du change mensuel est pratiqué à Angers et à Brest. qui n’est pas sans rappeler le principe des paniers existant dans les AMAP (5)Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne.. Ce change mensuel a lieu en début de mois, au moment où les salariés perçoivent leur salaire. Le paiement peut être effectué par chèque dans la limite de 200 €. Un plafond a été fixé afin de ne pas compromettre le fonds de garantie dans le cas de chèques impayés de montants élevés. Afin de ne pas pénaliser les utilisateurs, leurs chèques ne sont déposés sur le fonds de garantie qu’en fin de mois. Pour les changes supérieurs à 200 €, nous exigeons un virement en contre-partie des coupons.

Les utilisateurs prennent possession de leurs enveloppes de coupons auprès des membres actifs de l’association (moyennant procuration) ou chez certains prestataires agréés qui jouent le rôle de « boîte à lettre. » Dans ce cas, les prestataires n’ont qu’à remettre les enveloppes préalablement préparées aux utilisateurs, ce qui leur simplifie la tâche (signature d’un reçu).

Les utilisateurs peuvent également s’adresser à des bureaux de change ouvert à des horaires fixes et hebdomadaires pour retirer leurs enveloppes. Ces bureaux de change permettent en outre aux utilisateurs (6)Ce service n’est disponible que pour les utilisateurs ayant effectué le change mensuel. qui ont effectué un change mensuel d’acquérir de nouveaux coupons au cours du mois (limité à 200 € par change parce que réglés par chèques). De nouvelles personnes ont la possibilité d’adhérer dans les bureaux de change et obtenir immédiatement des coupons (dans la limite de 200 unités). Les bureaux de change bénéficient d’une certaine autonomie concernant la gestion de leur stock de coupons.

Concernant les prestataires qui souhaitent effectuer un change de monnaie locale en €, nous leur demandons de procéder comme le font souvent les professionnels avec les titres restaurant. Ils nous déposent mensuellement un bordereau de remise de coupons similaire à ceux utilisés pour les titres de paiement.

Le paiement des prestataires par l’association s’effectue mensuellement et uniquement par virement bancaire dans le but de simplifier la tâche du trésorier et de garder une traçabilité sans faille. L’enregistrement comptable du paiement d’un prestataire est de ce type :

au débit :

  • 1651 dépôts reçus : 100 €

au crédit :

  • 5122 banque fonds de garantie : 98 €
  • 7082 commissions et courtages : 2 €

Nous y ajoutons une écriture neutre :

  • 411 prestataire n°1 : 100 € au débit
  • 411 prestataire n°1 : 100 € au crédit

qui nous permet de connaître le montant échangé par chaque prestataire au cours de l’année.

De manière à ne pas multiplier les outils de gestion des coupons, l’enregistrement des flux de monnaie locale entre l’association, les bureaux de change et les adhérents est intégré dans la comptabilité de l’association. Ces enregistrements comptables sont neutres mais permettent de savoir où sont les coupons (en stocks, en circulation ou dans les bureaux de change) sans leur consacrer une gestion dédiée.

A cet effet, nous avons créé 4 numéros de compte dont le solde total est toujours égal à zéro :

  • 5316 MLCC en stock ;
  • 5317 MLCC en bureaux de change (avec des sous-comptes 5317001 bureau 1, 53717002 bureau 2…) ;
  • 5318 MLCC en circulation (dont le solde est égal à celui du compte 1651 dépôts reçus) ;
  • 5319 MLCC imprimées.

Le débit des trois premiers comptes est égal au crédit du quatrième.

Intégrer la gestion des coupons dans la comptabilité de l’association facilite la tâche des bénévoles, améliore son fonctionnement et donne une vision globale et permanente de sa situation.

La monnaie locale étant à nos yeux un outil précieux destiné à favoriser la résilience des territoires, nous nous efforçons de trouver l’équilibre décrit par Robert Ulanowicz entre résilience et efficacité et aussi entre liberté collective et liberté individuelle. Le choix d’une gestion simple d’une monnaie papier résulte de la recherche de cet équilibre toujours en évolution, lequel n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le nom de notre association.

Philippe Lalik, Equilibre Monnaie-Terre (Méreau du Gâtinais)

Notes et Références

Notes et Références
1 A Davos, on prédit la fin de l’argent liquide dans dix ans. http://fr.reuters.com/article/technologyNews/idFRKCN0UY2I8
2 Voir Alexandre Lacroix : La société sans cash ou la dictature du bien ? (Philosophie magazine n° 103, octobre 2016).
3 Sur ce dernier point, la situation pourrait évoluer car nous envisageons la mise en place de comptes courants en MLCC destinés aux échanges que les prestataires effectuent entre eux.
4 Ce principe du change mensuel est pratiqué à Angers et à Brest.
5 Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne.
6 Ce service n’est disponible que pour les utilisateurs ayant effectué le change mensuel.

4 commentaires

  1. Plus que le débat entre le papier et le numérique, je me demande s’il ne faut pas plutôt s’attacher à garantir que toute monnaie locale émise a une contre-partie dans le fond de garantie pour revenir à des fondamentaux monétaires et s’éloigner du système bancaire actuel. Une question est quand même pour moi sensible. Un fond de garantie en euro est-il vraiment une garantie… ;-)?

    La priorité n’est-elle pas comme l’a souligné quelqu’un au-dessus de favoriser au maximum le déploiement de ces monnaies locales pour leur donner un vrai poids économique pour pouvoir impacter sur le fonctionnement de notre société.

  2. Bonjour. Il me semble que la monnaie électronique doit être une forme complémentaire de la monnaie papier pour une MLC. La monnaie papier donne de la visibilité, permet l’éducation populaire, etc. La monnaie électronique permettrait plus facilement aux professionnels adhérents (désolé, le terme « prestataire » me semble toujours ésotérique s’agissant des MLC) de payer certains fournisseurs, à des élus locaux de se voir régler une partie de leur indemnité en MLC (sauf erreur, une collectivité n’a pas le droit de manipuler de la monnaie papier), aux consomm’acteurs d’aller vers certains professionnels qui encaissent de l’électronique et non du papier (professionnels de santé, garagistes de proximité…).
    Parlons de complémentarité papier/électronique et mettons nos forces ensemble pour franchir le pas des MLC électroniques 🙂
    Amitiés

  3. Si je partage totalement l’idée selon laquelle le billet de monnaie locale à une vertu pédagogique, j’avoue ne pas comprendre l’impact « philosophique » dont vous faites état. Et à trop faire dans le symbole, ne risque-t-on pas de paraître prétentieux ?
    Pire, le rejet de la monnaie électronique n’est-il pas une des causes du peu de succès des monnaies locales en France ? Comment intéresser des jeunes qui versent depuis leur naissance dans l’informatique, avec des moyens de paiement d’un autre siècle ?
    Mais que mes remarques ne masquent pas tout le respect que j’ai pour vos actions et vos valeurs que je partage en grande partie (mais pas pour tout, la preuve supra…).
    Bien cordialement,
    N. HERLI

    1. @ Nicolas

      2 remarques sur vos 2 remarques :

      – je ne vois pas pourquoi tenir compte de la dimension symbolique serait « prétentieux » : l’objectif des MLCC n’est pas tant les échanges économiques en tant que telles (leur quantité) que le sens de ces échanges économiques → vouloir retrouver du sens dans nos échanges.

      – le réseau des MLCC ne rejette pas la dimension numérique (à partir d’un certain volume, surtout entre prestataires, c’est évidemment une simplification) mais ne veut surtout pas se couper de la dimension concrète, matérielle, « touchante » du papier. C’est pourquoi « l’intérêt des jeunes pour l’informatique » est peut-être plus le nom du problème qu’une piste de solution : cette dernière remarque a pour horizon l’objectif du réseau, à savoir une transformation sociale et écologique ; si c’est pour refaire exactement ce qui existe déjà, autant retourner à l’€ ?

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